Pédagogue anarchiste
français
(1858-1942)
Issu dune famille de la haute bourgeoisie catholique, le jeune Sébastien Faure envisageait de devenir missionnaire. La mort de son père le contraignit à y renoncer pour se consacrer à sa famille.
Le contact avec la vie quotidienne lamena à réfléchir, à lire des auteurs jusque-là proscrits. Il perdit la foi et décida de rompre avec le milieu d'où il était issu. Il senrôla dans linfanterie mais la vie militaire le déçut rapidement et il termina son engagement simple soldat.
Après un séjour dun an en Grande-Bretagne, devenu inspecteur dans une compagnie dassurance, il épousa une jeune femme protestante malgré lopposition de sa mère. Ils sinstallèrent à Bordeaux.
Sébastien Faure sintéressait alors aux questions sociales et commença sa carrière de militant. Dabord adepte de Jules Guesde, il fut candidat du Parti ouvrier aux législatives doctobre 1885, recueillit 600 voix et fit découvrir son talent dorateur. Ses activités militantes provoquèrent la séparation des époux Faure.
Installé à Paris, il se détacha peu à peu du guesdisme et sintéressa au mouvement anarchiste. Il devint un ardent propagandiste de lidéal libertaire, parcourant la France en tout sens pour présenter des conférences aux titres percutants ou provocateurs : Douze preuves de linexistence de Dieu, La Pourriture parlementaire, Ni commander, ni obéir... Ses tournées, minutieusement préparées, obtinrent bientôt un grand succès. Ses principales cibles étaient lÉtat, le Capital et la religion.
Sa bibliographie est abondante et les titres de journaux ou périodiques quil fonda ou auxquels il a collaboré sont nombreux. Il attira ainsi lattention de la police et fut plusieurs fois arrêté, condamné et emprisonné. En pleine période terroriste (la propagande par le fait), les lois scélérates permirent même la tenue du spectaculaire procès des Trente (août 1894) dans lequel il fut impliqué.
Laffaire Dreyfus labsorba à partir de février 1898. Il rédigea un Jaccuse plus violent que la lettre de Zola, publia une brochure, Les Anarchistes et laffaire Dreyfus, multiplia les conférences et entraîna avec lui les libertaires qui avaient dabord considéré que la question ne les regardait pas.
Il sinvestit ensuite dans la propagande néo-malthusienne aux côtés dEugène Humbert, puis, désireux de concentrer ses efforts sur une uvre unique au lieu de les disperser au hasard des circonstances, il entreprit de faire vivre une communauté éducative fondée sur les principes libertaires : La Ruche.
La guerre de 1914-1918 révéla de profondes divergences au sein du mouvement anarchiste. Tandis que Pierre Kropotkine et Jean Grave se ralliaient à LUnion sacrée, Errico Malatesta restait résolument antimilitariste. En France, Sébastien Faure fut un des premiers à prendre ouvertement position en publiant un manifeste intitulé Vers la paix qui lui valut une convocation au ministère de lIntérieur au cours de laquelle il fut persuadé par Louis-Jean Malvy dinterrompre sa campagne pacifiste. Celle-ci fut reprise par dautres militants anarchistes : Louis Lecoin, Pierre Ruff, Pierre Chardon, Émile Armand, puis plus tard par Sébastien Faure lui-même avec la publication dun hebdomadaire de quatre pages intitulé Ce quil faut dire.
Cependant Sébastien Faure sortit physiquement ébranlé, moralement et politiquement brisé. Victime dune campagne de calomnies et de rumeurs malveillantes il surmonta néanmoins une congestion pulmonaire et mit sur pied limprimerie La Fraternelle, fit paraître en 1922 le premier numéro de Le Revue anarchiste qui compta 35 livraisons, puis assuma la direction et la coordination de LEncyclopédie anarchiste.
Il participa encore à une vaste campagne de soutien aux victimes de la guerre dEspagne et se rendit à Barcelone et sur le front de Saragosse, mais les prises de position de la C.N.T.-F.A.I. le conduisirent à prendre ses distances puis à dresser un bilan plutôt négatif de lexpérience espagnole.
Pendant la Seconde guerre mondiale, quelque peu dépassé par les événements, il séjourna à Royan avec sa femme quil avait retrouvée après quarante ans de séparation. Il y mourut dune congestion cérébrale le 14 juillet 1942.
La Ruche
De 1904 à 1917, Sébastien Faure loua, près de Rambouillet, un domaine de 25 ha comprenant une vaste maison et plusieurs bâtiments annexes ainsi que des dépendances, un grand jardin potager, des prairies et des bosquets. 60 personnes environ y vécurent en permanence : une quarantaine denfants des deux sexes, enfants de prolétaires ou orphelins, et une vingtaine dadultes ayant volontairement choisi de seconder Sébastien Faure.
La prospérité et la renommée de La Ruche induisirent quatre mille demandes dinscription en 10 ans, qui ne purent évidemment pas être satisfaites. Les enfants acceptés étaient soigneusement sélectionnés : en bonne santé, entre 6 et 10 ans, ils devaient sengager à rester à La Ruche jusquà 16 ans révolus. Il ne payaient aucun frais de pension, et les 20 collaborateurs étaient tous bénévoles. La Ruche accueillit aussi des camarades de passage, désireux de participer momentanément à cette expérience concrète ou exilés politiques.
Les principes pédagogiques de Sébastien Faure sinspiraient de ceux de Paul Robin, résumés par la célèbre formule : " bonne naissance, bonne éducation, bonne organisation sociale ". Loriginalité de lentreprise était dêtre complètement indépendante, moralement et matériellement.
Le but poursuivi était de porter au maximum de développement toutes les facultés de lenfant : physiques, intellectuelles et morales. On menait de front linstruction générale, lenseignement technique et professionnel. Léducation physique était régulièrement pratiquée, les jeux collectifs et les longues marches, associés à une alimentation saine, produisaient des enfants robustes, agiles, adroits et endurants.
Les petits partageaient leur temps entre la classe, les jeux et les menus services. Les moyens, de 13 à 15 ans, passaient une partie de la journée en classe, lautre à latelier ou aux champs, selon les principes de léducation intégrale. Les grands cessaient daller en classe et suivaient un stage de deux ou trois années en apprentissage ou aux champs, mais pouvaient compléter leur instruction aux cours du soir, par des lectures ou des discussions avec leurs aînés.
Garçons et filles vivaient ensemble, comme frères et surs au sein dune même famille, malgré les controverses suscitées alors par le " système de la coéducation des sexes ".
Sébastien Faure privilégiait la " tête bien faite " au détriment de la " tête bien pleine " et la méthode inductive, cest-à-dire positive et rationnelle, était préférée à la méthode déductive dogmatique. Les salles de classes présentaient un aspect vivant, gai, doux, prédisposant lenfant à sy plaire. Les récompenses et les punitions en étaient absentes, ainsi que toute forme de classement.
Les collaborateurs chargés de lenseignement disposaient dune assez large liberté dans lorganisation de leur travail. Ils restaient plus ou moins longtemps, ce qui constitua la seule véritable faiblesse de lenseignement à La Ruche, le successeur ne prenant pas forcément en compte le travail accompli par celui quil remplaçait.
La musique et le chant tenaient une grande place à La Ruche et Sébastien Faure harmonisait lui-même certains chants.
Léducation morale était principalement fondée sur lexemple et la discussion, et refusait lautorité sous toutes ses formes.
Les ateliers avaient une fonction éducative et une fonction utilitaire : ils permettaient à La Ruche de subvenir presque entièrement à ses propres besoins. Il fut même envisagé daméliorer leur productivité et de travailler pour lextérieur, constituant ainsi une source de revenus. Seul latelier dimprimerie atteindra cet objectif.
Les conférences de Sébastien Faure (150 par an !) constituaient une importante source de revenus qui permettait de combler le déficit chronique de La Ruche.
Chaque dimanche et lors de sa fête annuelle, La Ruche recevait de nombreux visiteurs.
Enfin, chaque année, La Ruche organisait un voyage dans une région ou dans une autre. Seuls les moyens y participaient. Ces voyages constituaient à la fois une détente, une manifestation de propagande et une source de revenus : dans chaque ville quil traversait, le groupe donnait un concert payant qui était interrompu par une causerie de Sébastien Faure, et les enfants vendaient pendant lentracte des brochures de Sébastien Faure ou des cartes postales de leur communauté.
La guerre de 1914-1917 désorganisa la vie paisible de La Ruche et Sébastien Faure dut se résoudre à fermer linstitution à la fin de février 1917.
Bibliographie :
Roland Lewin, Sébastien Faure et " La Ruche ", Cahiers de lI.H.P.L., Ivan Davy, Vauchrétien, 1989.
Jean-Marc Raynaud, T'are ta gueule à la révo, Editions du Monde libertaire, 1987.
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