Les Comptes du Lundi

 

Les estimations les plus diverses ont courru à propos de notre grève du Lundi de Pâques : la plus basse, dans tous les sens du terme, fut celle du SE qui, par la voix de son secrétaire, annonça 10% de grévistes. L'Inspecteur d'Académie, dont c'est déjà plus la fonction de sous-évaluer ce genre d'évènement, monta jusqu'à 12%; ses services émirent, dans un premier temps, les pourcentages de 14,9% dans le premier degré, et 15,9% dans le second degré, rectifié plus tard à 23% dans le second degré.
Le pourcentage réel de grévistes dans le premier degré ne sera jamais connu. L'Inspection Académique, qui l'ignore, a demandé aux directeurs d'école de les informer du nombre des grévistes pour chaque école, type d'enquêtes auxquelles les directeurs, en grève administrative depuis 5 ans, ne répondent pas.
Notre syndicat, nouveau dans l'Education nationale, et très mal implanté, ne possède pas les moyens de procéder à sa propre évaluation.

Les autres syndicats, qui n'ont pas appelé à cette grève (mis à part le dépot in extremis, et resté confidentiel, de préavis de grève chez deux d'entre eux pour faire face à la montée du phénomène de grève parmi leurs propres adhérents et sympathisants), ne sont pas intéressés à publier leur évaluation de cette journée.
Tout ce que nous savons, c'est qu'il y eut des écoles fermées, et des maternelles où même les ATSEM se mirent en grève, au vu de l'appel de la CNT; ce qui montre comme était grande la demande de lutte de la part des travailleurs contre la dernière injure en date que leur faisait ce gouvernement Raffarin-Seillières.

Mais il n'y eut pas que les travailleurs à s'insurger : les parents d'élèves, qui sont de toutes classes sociales suivirent massivement l'appel au boycott de la FCPE, nombre d'employeurs accordèrent congé à leurs employés, et à Nîmes, on vit le directeur de Vauban fermer la fac; et la Mairie de droite ou le Conseil Général céder à la pression en libérant la journée pour leurs fonctionnaires territoriaux.

En effet, la marche du capitalisme est aussi une entreprise de destruction du corps social, et tout y passe, depuis les familles avec la mobilité professionnelle, les villes avec la spéculation foncière, la communication avec sa consommation de masse, les habitudes alimentaires avec l'industrialisation des produits, et jusqu'aux formes de la démocratie bourgeoise, avec la mondialisation. L'autonomie des liens sociaux disparait sous les attaques du totalitarisme marchand.
Même les temps de vacances, désormais à la carte pour assurer la continuité de la production, ou scindées en zones, pour rentabiliser les infrastructures touristiques, ne sont plus des temps où le corps social tout entier se retrouve : il ne reste que quelques jours fériés dans l'année pour ces retrouvailles; et, par exemple seulement deux séries de 48 heures, à Pâques et à Pentecôte, pour les travailleurs de la grande distribution.
C'est toute la société qui s'est sentie menacée par la lubie malfaisante de ce gouvernement impopulaire.

Etrangement, aucune des grandes confédérations syndicales, ni aucune fédération de quelque importance dans l'Education Nationale, n'avait pris la mesure de ce mécontentement, ni des enjeux qui lui étaient liés : la casse des 35 heures, et la réduction de la société à sa fonction marchande (à l'exception de la CFTC qui, opposée à la laïcisation du pays, avait déposé des préavis de grève pour toutes les fêtes chrétiennes concernées).
Dans le Gard, cette passivité se traduisit par des mesures hybrides et un peu folles d'absences autorisées pour informations syndicales, ou de consignes de ne se livrer ce jour-là qu'à des activités récréatives avec les élèves; mesures qui avaient l'avantage de répondre un peu au refus des salariés de travailler ce jour-là, tout en évitant soigneusement qu'ils se mettent en grève.
Nombreux furent les collègues ainsi détournés d'une action efficace.

En dépit de tous ces obstacles, la grève eut lieu, et dans des conditions particulièrement horribles pour tous les Pouvoirs, gouvernementaux ou syndicaux, c'est-à-dire spontanément. Certes, l'appel de la CNT-AIT a joué un role dans le déclanchement de cette grève, mais seulement un role catalyseur, et non pas un role moteur, notre autorité morale dans la profession étant trop faible pour que nous puissions y prétendre.

Ce jour-là les grévistes ont brisé le miroir où les tenants du Pouvoir jouaient à savoir qui était la plus belle; on sut en France que nous avions fait grève, et le pays tout entier se préparait à en faire autant : partout, à la base, dans les départements, dans les entreprises, naissaient d'autres appels à la grève, pour le Lundi de Pentecôte cette fois.
La conjonction de ces deux éléments, un refus par le corps social d'une mesure gouvernementale pourtant acceptée par les dirigeants syndicaux, et l'explosion de grèves non voulues, menaçait le Pouvoir d'un intolérable danger : celui d'une situation hors controle.
Dans la précipitation, il s'activait pour échaper au désastre : une à une , fédérations et confédérations syndicales, pour éviter d'être débordées par leurs propres adhérents, lançaient des appels à la grève pour le 16 mai; tandis que le gouvernement, parlant des nécessaires évaluations de la Journée de Solidarité, se préparait à reculer en essayant de sauver la face.

Il ne fait aucun doute aujourd'hui que nous obtiendrons gain de cause : cette Journée sera supprimée.
Facile victoire : il suffisait de charger pour enfoncer l'ennemi.
Et puisque personne aujourd'hui ne songe à féliciter ceux qui ont lancé la charge, c'est-à-dire les grévistes de l'Education Nationale dans le Gard, nous nous permettrons de le faire :
Bravo les grévistes!